Pur et libre !

Mot du Directeur (tiré de la Lettre aux amis et bienfaiteurs de février 2022)
La vocation est un miracle de grâce, que chaque famille vraiment chrétienne se doit de favoriser par une éducation équilibrée, en se gardant à la fois du puritanisme et du libéralisme.
Ni puritain
Ce que nous appelons ici le puritanisme pourrait se réduire au pharisaïsme. Ceux qui filtraient le moucheron tout en avalant le chameau, furent décrits par Notre-Seigneur comme des sépulcres blanchis : éclatants de propreté à l’extérieur, mais en réalité remplis de pourriture. Le Vendredi Saint, ils refusèrent d’entrer chez le païen Pilate « afin de ne pas se souiller et de pouvoir manger la Pâque », au moment même où ils réclamaient la mort de Jésus-Christ et commettaient ainsi le déicide… Il ne faudrait pas se croire à l’abri d’une telle conduite, qui consiste à s’enfermer tellement dans le détail qu’on en oublie l’essentiel. On accomplit des formalités, on suit scrupuleusement des règles, mais sans vraiment savoir pourquoi. Et en général moins on le sait, plus on est rigide. Cette attitude se traduit dans le trop fameux « parce c’est comme ça » qui n’explique rien du tout. Elle menace l’équilibre et l’épanouissement de l’éducation, et risque même de briser l’enfant : celui-ci devient tout au mieux un chrétien sans vie, respectueux de la froide lettre d’une loi qu’il ne comprend pas. Il suffira alors de quelques épreuves ou tentations dont notre monde moderne a le secret, et le voilà ébranlé, au bord de l’abandon ou de la révolte… N’y aurait-il pas là une explication de l’apostasie massive des années soixante ?
Ni libéral
Il ne s’agit pas pour autant de verser dans l’excès inverse du libéralisme, qui veut faire de la liberté un but en soi et non un simple moyen pour arriver au bien. Le « catholique libéral » cherchera toujours le compromis entre la vérité qu’il admire en théorie, et l’erreur qu’il n’ose rejeter en pratique. Il pense que l’une et l’autre doivent jouir de cette liberté qu’il chérit tant. En théorie, la vérité a certes tous les droits ; mais en pratique, elle doit les partager avec l’erreur, tout en restant libre… Étrange conciliation qui finit toujours au détriment de la vérité. C’est le chrétien qui veut demeurer tel, tout en essayant de se mettre au goût du monde et de ses coutumes païennes, par peur de paraître ringard. C’est Pilate qui, convaincu de l’innocence de Notre-Seigneur, n’ose cependant pas déplaire aux Juifs et finit par Le condamner à mort : puritains et libéraux finissent par se retrouver dans leur opposition au bien… En effet, une éducation puritaine qui étouffe l’enfant le pousse vers le libéralisme. Et un libéral aura facilement besoin de se rassurer avec des règles puritaines. Sous des dehors larges, il sera en réalité intolérant avec le vrai catholique (« pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! »). Après avoir délaissé les Commandements de Dieu, il suivra scrupuleusement les règles des hommes, se scandalisant même que le catholique ne l’imite pas en cela. Les exemples ne manquent pas. Ce genre d’éducation plonge l’enfant dans l’esprit du monde, et il n’a bientôt plus que l’étiquette catholique, sans rien de profond. Est-on si loin du « sépulcre blanchi » des puritains ? Dans un tel milieu, le miracle de la vocation est-il encore possible ?
Chrétien !
La véritable éducation chrétienne est tout autre, car elle s’appuie sur les principes que le puritain ne connaît pas, et que le libéral dédaigne. Les vrais chrétiens connaissent le pourquoi de leur conduite : leur enfant, qui, lui, ne peut encore tout comprendre, voit cependant très bien que ses parents, eux, savent, et qu’ils en sont même fiers ! C’est déterminant dans l’éducation, qui sera ainsi pure (mais non puritaine) et libre (mais non libérale).
Cette pureté est riche de significations. Sans en rejeter aucune, et sans vouloir la réduire à une simple préservation du péché, nous la prenons spécialement dans le sens de la pureté d’intention, ou rectitude d’âme. Car c’est pour Dieu qu’on agit, pour Jésus-Christ dont on porte le nom et la présence dans son âme. C’est pour Lui ressembler qu’on accepte joyeusement l’épreuve et le sacrifice, qui sont les plus belles preuves du don total de soi-même. C’est ici la source, la force de l’éducation chrétienne, comme l’enseigne cette superbe prière : « O Dieu, qui par le commerce auguste de ce Sacrifice nous rendez participants de l’unique et souveraine divinité, faites, nous vous en supplions, que, connaissant votre vérité, nous y conformions, comme il convient, nos mœurs » (Secrète du 18ème dimanche après la Pentecôte). Il n’est pas demandé tout de suite à l’enfant d’être parfait, mais on attend de lui cette franchise et cette générosité qui l’aideront à devenir un chrétien accompli. Alors, quand les chutes arriveront, la charité chrétienne ne s’en étonnera pas : une franche simplicité qui veut aller droit au but permet toujours de se relever.
L’éducation chrétienne, parce que fondée sur la vérité, sur les principes connus et aimés, rend aussi l’enfant libre. Libre d’une application étouffante des règles, car il apprend à adapter les principes en fonction des circonstances. Il n’oublie pas pour autant que c’est la fidélité dans les petites choses (dont il connaît peu à peu la raison d’être) qui lui permettra celle dans les plus grandes. Pour clore cette partie, citons Mgr Freppel : « Le plus grand des malheurs pour un siècle ou pour un pays, c'est l'abandon ou l'amoindrissement de la vérité. On peut se relever de tout le reste ; on ne se relève jamais du sacrifice des principes. Les caractères peuvent s'infléchir à des moments donnés, et les mœurs publiques recevoir quelques atteintes du vice ou du mauvais exemple ; mais rien n'est perdu tant que les vraies doctrines restent debout dans leur intégrité. Avec elles tout se refait tôt ou tard, les hommes et les institutions, parce qu'on est toujours capable de revenir au bien lorsqu'on n'a pas quitté le vrai. Ce qui enlèverait jusqu'à l'espoir même du salut, ce serait la désertion des principes, en dehors desquels il ne se peut rien édifier de solide et de durable. Aussi le plus grand service qu'un homme puisse rendre à ses semblables, aux époques de défaillances ou d'obscurcissement, c'est d'affirmer la vérité sans crainte, alors même qu'on ne l'écouterait pas ; car c'est un sillon de lumière qu'il ouvre à travers les intelligences ; et si sa voix ne parvient pas à dominer les bruits du moment, du moins sera-t-elle recueillie dans l'avenir comme la messagère du salut ». (Mgr Freppel, Panégyrique de saint Hilaire, 19 janvier 1873).
En conclusion
Il s’agit de former l’enfant à une vie chrétienne, qui ne ressemble en rien à l’attitude des pharisiens ni à celle de Pilate, qui tous condamnèrent le Christ à mort. Il s’agit plutôt d’initier l’enfant au mystère de la Croix, au pied de laquelle il trouvera toujours Marie, Mère du Souverain Prêtre et aussi de saint Jean, le seul prêtre ordonné par Notre-Seigneur qui fut présent au Sacrifice suprême.
Abbé d’Abbadie